Ruisselant sur les carreaux de l’auberge, la pluie avait envahie le petit village de Briançon pour cette soirée de début de printemps. Réfugiés à l’intérieur du bâtiment, nombres des habitants s’y trouvaient pour partager un moment de détente, agrémenté de parties de dés et de quelques chopes. Au fond de l’établissement, deux hommes étaient assis à une petite table ronde, leur conversation perdue dans le brouhaha de l’hystérie collective et leurs traits déformés par une fumée opaque de provenance douteuse.
Hé bé qu’est-ce que j’apprends… Le royaliste a-t-il enfin retrouvé sa raison ? Dit d’un ton narquois le paysan aux traits marqués par le temps alors qu’il s’adressait à son interlocuteur, plus jeune.
Ne m’embêtes plus avec cela veux-tu ! J’ai pris congé de mes fonctions dans l’ordre mais pas pour tes beaux yeux…
Il tourna le regard vers l’homme assis à ses côtés, guettant sa réaction à la suite de ce trait d’ironie dont il n’était pas peu fier. Malheureusement, l’homme semblait habituer à ses années de sarcasmes et il n’esquissa pas la moindre réaction. Déçu de ce coup dans l’eau, le jeune homme poursuivi.
Non… Je n’avais plus aucunes raisons de rester là-bas, c’est tout…
Tu sais... repris l’autre homme… l’armée recherche toujours des hommes de valeur Asdrubell. Et je suis sûr que si tu…
Non ! Coupa sèchement Asdrubell. Si j’ai quitté les rangs du roi, ce n’est pas pour me mettre aux services d’un duc…
Arf… Tu as tes raisons j’en suis sûr. J’espère seulement que tu ne te mettras plus dans des situations gênantes. Il regarda son jeune interlocuteur dans les yeux. Je suis maintenant trop vieux pour te sortir de guêpiers. Il va falloir que tu apprennes à te débrouiller seul.
Le silence s’installa entre les deux hommes. Asdrubell, perdu dans ses pensées et projets à venir ; le vieux soldat ne sachant que dire.
A la lueur d’une chandelle de table, ils terminaient leurs boissons. La taverne résonnait des paroles des habitants, le bruit de la pluie battant le carreau avait cessé.
******
Quatre jour plus tard, la pluie battait de nouveau la campagne noyait les pavé de la route sinueuse. Accompagné du bruit de sabot fendant l’eau, Asdrubell progressait dans la pénombre de la soirée tombante. Frigorifié par les éléments déchaînés mais déterminé, il continuait de se rapprocher sans cesse de son objectif : le château de l’ordre de Santiago.
Prévoyant, il avait pris ses dispositions avant de quitter Briançon. Les champs confiés au jeune Thibault, sa demeure gardée par son ami le vieux soldat. Et une dernière chose, peut-être la plus importante… Rangée dans un coin de sa chambre, une malle… Plié avec précaution et déposer avec délicatesse, certaines affaires qui lui tenaient à cœur : un tablier blanc, une dague et un brassard ; tous marqué de la croix de gueule potentée accompagnée de ses quatres ailettes.
A mesure que l’astre du jour disparaissait de son champ de vision, il savait qu’il se rapprochait du lieu ton convoité. Il avait servi le roi et la cause temporelle, il se mettrait désormais au service d’une cause plus intéressée par le bonheur des gens que par les terres et les titres. Il allait servir Aristote et ses représentants sur terre, tel était son choix ! Mais ce n’est pas par l’épée et le sang qu’il s’épuiserait à essayer de remplir ses objectifs… Sa plume serait son arme, la prose son champ de bataille et sa foi son bouclier. Car ainsi sera son choix. Intégrer le corps diplomatique.
Perdu dans ses pensées, il en fut tiré violemment quand il vit le château de l’ordre. Trônant majestueusement sur ses terres, ses toits lui semblaient crever le ciel et ses sombres remparts s’étendre à perte de vue.
Intimider par une telle présence, il alla de suite au pont-levis et mis pied à terre. Trempé jusqu’aux os, il se dépêcha de s’approcher des grilles.
Ohé ! Il y a quelqu’un ?
Cria-t-il en direction de la herse, ne sachant distinguer quoi que ce soit dans la pénombre ambiante et à travers la pluie battante.